Par Samuel Foli, Ph.D.
Chercheur associé à la Society for Inclusive and Collaborative Entrepreneurship (S4ICE), Allemagne
Il se passe une révolution silencieuse à Malte. Elle se trouve dans les espaces de coworking de Gżira et dans les centres de startups de La Valette. Elle est dans la volonté du gouvernement de faire de nous la capitale européenne de la blockchain et dans la présentation de l’île comme un terrain d’expérimentation pour l’IA. Et elle est dans les esprits des jeunes entrepreneurs rêvant d’impact mondial.
Mais alors que nous nous précipitons pour embrasser l’entrepreneuriat numérique, il manque quelque chose dans la conversation — quelque chose de crucial et, franchement, quelque chose dont on ne parle pas assez : les risques liés au savoir.
Oui, les risques liés au savoir. Pas les dangers spectaculaires comme les violations de données ou les effondrements de crypto-monnaies, mais des menaces plus subtiles, souvent invisibles, qui peuvent discrètement démanteler les ambitions de Malte de l’intérieur.
Ma récente publication, intitulée « Discovering the Hidden String Connecting Knowledge Risks and Digital Entrepreneurial Ecosystem » (Découvrir le lien caché reliant les risques liés au savoir et l’écosystème entrepreneurial numérique), offre une analyse opportune et stimulante de cette problématique. Et bien que ma recherche soit enracinée dans des contextes européens plus larges, les implications pour Malte sont à la fois urgentes et personnelles.
Nous construisons rapidement — mais construisons-nous intelligemment ?
Faisons un pas en arrière. Malte a investi énormément d’énergie pour devenir un pôle d’innovation numérique. Des incitations fiscales aux environnements réglementaires, des lois sur la blockchain à la supervision de la MDIA, l’île s’est positionnée comme ouverte aux affaires numériques.
Et, dans une certaine mesure, cela fonctionne. Des startups se forment. Des nomades numériques arrivent. Les investissements technologiques augmentent.
Mais si l’on gratte un peu sous la surface, on découvre qu’en dessous de l’enthousiasme se cache une vulnérabilité non dite : notre écosystème numérique est aussi solide que les connaissances sur lesquelles il repose, et la manière dont ces connaissances sont protégées, partagées et préservées.
J’ai énuméré cinq types de risques liés au savoir qui sont particulièrement pertinents dans les écosystèmes numériques : la fuite de savoir, le risque de numérisation, le déapprentissage, les cyberattaques et la censure du savoir. Ce ne sont pas des concepts théoriques, ils influencent déjà discrètement l’évolution de l’écosystème maltais.
Quand “partager” devient une fuite de savoir
Les entrepreneurs numériques de Malte évoluent souvent dans des environnements très interconnectés et collaboratifs. Il existe une forte culture de collaboration, et c’est une bonne chose. Mais cela augmente également les risques de fuite de savoir, où des informations sensibles quittent des canaux sécurisés, soit accidentellement, soit intentionnellement.
Prenez la culture des freelances qui est en plein essor à Malte. Bien qu’elle offre de la flexibilité et l’accès à des talents mondiaux, elle expose également les entreprises à des risques importants. Lorsque des projets sont attribués au détail, avec peu de supervision, et que les NDA (accords de non-divulgation) sont plus une formalité qu’une véritable pratique, des connaissances commerciales précieuses peuvent sortir sans que personne ne s’en aperçoive jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Dans des secteurs comme la fintech, le jeu en ligne (iGaming) et l’IA, où Malte cherche à obtenir un avantage concurrentiel, ce type de fuite n’est pas seulement gênant. Il peut être fatal.
La numérisation, une arme à double tranchant
Les secteurs public et privé de Malte sont sous une pression immense pour « se numériser ». Que ce soit pour mettre à jour des systèmes informatiques obsolètes ou pour offrir des services à distance, la poussée vers la numérisation est désormais une attente de base. Mais cela entraîne également un risque de numérisation — le défi de suivre l’évolution des technologies et des connaissances nécessaires pour les utiliser efficacement.
Nous avons vu des PME locales lutter ici. Beaucoup se lancent dans la numérisation sans formation adéquate, pour se retrouver ensuite coincées avec des outils qu’elles ne comprennent pas totalement ou qu’elles ne peuvent pas adapter lorsque les choses changent. Pire encore, la précipitation vers le numérique peut laisser de côté ceux qui sont moins à l’aise avec la technologie, souvent des employés plus âgés ou des petites entreprises sans support informatique interne.
La numérisation, sans investissement dans les compétences et les personnes, ne nous rend pas plus intelligents, elle nous rend simplement plus fragiles.
L’art douloureux du déapprentissage
Le déapprentissage — le processus de se débarrasser des habitudes, connaissances et pratiques obsolètes — est un défi profondément humain. Cela semble particulièrement pertinent à Malte, où les traditions et les systèmes hérités ont souvent un pouvoir considérable.
Que ce soit un département gouvernemental s’accrochant à des workflows papier ou une entreprise familiale refusant de laisser partir « ce que nous avons toujours fait », la résistance au changement peut étouffer l’innovation. Nous parlons beaucoup de montée en compétences, mais qu’en est-il du déapprentissage des choses qui ne nous servent plus ?
Si Malte est sérieuse dans la construction d’un écosystème entrepreneurial numérique durable, nous devons créer des espaces sûrs et des incitations pour permettre aux gens de déapprendre, sans honte ni crainte.
Cybersécurité : notre talon d’Achille numérique
Il est impossible de parler de risques liés au savoir sans aborder les cyberattaques. La réalité est frappante : Malte est vulnérable. Des partis politiques aux systèmes gouvernementaux, nous avons déjà vu des violations qui auraient dû déclencher des alarmes plus fortes.
Les startups, en particulier, sont souvent le maillon faible. Avec des budgets serrés et un support informatique minimal, la cybersécurité est reléguée au bas de la liste des priorités. Mais comme le soutient Foli, les dégâts causés par une seule violation peuvent se propager à tout un écosystème, érodant la confiance, endommageant la réputation et éloignant les investisseurs.
La cybersécurité n’est pas seulement un problème informatique, c’est un problème d’écosystème. Et un problème que Malte doit traiter de manière proactive si elle veut être considérée comme un acteur sérieux.
Lorsque les fondateurs partent, que reste-t-il ?
Enfin, il y a la censure du savoir, un concept que l’article introduit pour décrire ce qui se passe lorsque des personnes clés se retirent d’un écosystème, emportant leur expertise et leurs connaissances avec elles. À Malte, où de nombreuses startups reposent sur quelques figures centrales, c’est un véritable risque.
Lorsqu’un fondateur quitte, prend sa retraite ou même déménage, quels systèmes sont en place pour s’assurer que les connaissances qu’il détenait ne disparaissent pas avec lui ? Souvent, il n’y en a pas. Et cela signifie que les écosystèmes peuvent se faner, non pas parce que les idées n’étaient pas bonnes, mais parce que les connaissances nécessaires pour les faire avancer ont disparu.
La planification de la succession, la documentation, le mentorat — ce ne sont pas simplement des mots à la mode. Ce sont des bouées de sauvetage pour une petite nation aux grandes ambitions numériques.
Alors, où allons-nous à partir d’ici ?
L’avenir numérique de Malte ne dépend pas de plus d’incubateurs ou d’événements technologiques tape-à-l’œil. Il dépend de quelque chose de bien plus fondamental : comment nous gérons, protégeons et partageons ce que nous savons.
Le travail de Samuel Foli nous rappelle que les écosystèmes numériques sont fragiles et complexes. Ils nécessitent plus qu’une vision, ils nécessitent de la vigilance. Et ils ne prospèrent pas uniquement grâce à la technologie, ils dépendent de la confiance, de la transparence et d’une volonté de croître non seulement avec les connaissances, mais aussi autour d’elles.
Pour Malte, cela signifie :
Créer des politiques nationales qui intègrent la gestion des risques liés au savoir dans les systèmes de soutien aux startups.
Encourager une culture du déapprentissage et du réapprentissage, en particulier dans les secteurs traditionnels.
Considérer la cybersécurité comme une infrastructure numérique essentielle.
Investir dans des systèmes humains qui garantissent que les connaissances sont retenues et partagées, même lorsque des personnes partent.
Les outils dont nous avons besoin existent déjà. La question est de savoir si nous sommes prêts à les utiliser, non seulement pour construire l’économie numérique que nous voulons, mais pour la soutenir à travers chaque changement, risque et défi à venir.
L’avenir de Malte n’est pas seulement numérique. Il est profondément humain. Et si nous voulons que notre écosystème numérique prospère, nous devons commencer à gérer notre savoir comme l’actif critique qu’il est vraiment.
Lectures complémentaires :